En Occident, nous ne sommes par vraiment habitués à chanter, encore moins en groupe avec d’autres personnes, ce qui provoque parfois un embarras ou une pudeur lorsqu’il s’agit de vocaliser sur son tapis. Forcés de pratiquer à distance en cette période, la situation nous offre l’opportunité de sortir peut-être de nos conditionnements et de nous ouvrir à cette dimension de la pratique. Dans un cadre habituel, loin des regards, au milieu d’un salon ou d’une chambre, nous pouvons parfois plus facilement nous laisser vivre l’expérience tout en laissant à nos compagnons de vie et voisins le plaisir d’entendre notre sublime timbre.
Pour autant, le mantra n’est pas simplement un chant, c’est une véritable science ancestrale des sons et des vibrations du langage. Répétition d’une syllabe ou d’une phrase, il est un outil précieux pour ouvrir de nouveaux horizons, donner de la profondeur à notre pratique et dévoiler peu à peu notre réalité. Car le yoga, loin des dogmes établis, des doctrines ou même des certitudes issues de nos expériences, est avant tout un chemin d’exploration qui vise à faire l’expérience de soi, dans l’instant, en cherchant à savoir qui nous sommes vraiment, au-delà de tous les filtres émotionnels et mémoriels qui modifient notre vision du réel.
Mais à quoi ça sert réellement au-delà du plaisir de chanter ? Il faut revenir à la signification du mot pour comprendre l’intérêt des mantras. Littéralement, Man vient de la racine manas (mental ou pensée) et le mot Tra est régulièrement traduit par libération ou protection. Le mantra serait donc une pensée qui protège, qui soutient, qui libère. Une sonorité qui propose de nous ouvrir à ce corps qui la crée et la reçoit en même temps, se laissant vibrer du dedans, offrant au mental joueur un support, un socle pour se centrer quand il se laisse emporter par les tourbillons de la vie. Le mantra nous invite à vivre le présent, détaché de la justesse de ce son chanté qui navigue de l’intérieur vers l’extérieur, la pensée simplement dirigée vers son écho interne, cette grande vibration du dedans qui défait les nœuds, déblaye les tensions et décharge les trop-pleins avant de les dissoudre profondément. On peut même parfois ressentir cette vibration s’étendre indéfiniment, au-delà même du corps physique, nous reliant à ce qui entoure, notamment ceux qui chantent avec nous. Alors que le yoga a parfois l’image d’une aventure solitaire, menée face à soi-même sur son tapis, le mantra nous rapproche, nous unit parfois dans ce même élan, l’espace autour de nous rempli de notre résonnance conjointe.
Le corps ressort du mantra rempli de tonus, nourri par le son, les muscles respiratoires étirés par l’allongement de l’expiration, les organes internes remplis de vibrations, la fréquence cardiaque régulée, cohérente, à l’unisson de la vibration. Le mental aussi ressort plus libre, plus ouvert. Répéter un mantra vient stimuler les aires auditives, ce qui bloque le mécanisme des pensées automatiques et des associations d’idées habituelles, ce qui peut être utile pour gérer certaines peurs et ses dérivés (stress, angoisses, anxiété…) et contrôler certaines émotions envahissantes. Pour autant, le mantra n’est pas un abrutissement primaire, ni une fuite devant l’aspect parfois complexe et irrationnel de nos pensées. C’est juste revenir à une tonalité et à un rythme qui forment une harmonie de base, le son agissant comme un diapason pour le corps et le psychisme. On s’accorde avec la vie et pour cela, le sens de ce qui est récité doit nous amener à une introspection qui se fait consciemment ou inconsciemment. Répéter une phrase ou une syllabe dont la signification ne nous touche pas aura des effets moindres, centrés sur la matière, alors qu’un mantra chanté avec cœur, dont le sens nous saisi intérieurement, viendra soutenir le processus de transformation du yoga.
Mais rien ne sert de croire à ces effets sans les avoir vécus intérieurement et expérimentés par soi-même. Le yoga nous pousse toujours à vivre une expérience, à découvrir par soi-même et non seulement à faire sien ce qui est dit par d’autres. Alors chantez ! Choisissez des sons, des syllabes, des mots qui vous touchent, rempli de sens pour vous, en sanskrit ou dans votre langue. Répétez-les, avec ou sans travail postural, avec beaucoup de cœur, en laissant votre voix s’ouvrir ou intérieurement. Et observez ce qu’il se passe. Si chanter vous rempli de légèreté, d’ouverture, d’entrain, laissez le mantra devenir le refrain de votre vie, comme un rituel qui revient chaque jour, le retour à une forme d’unité, les cellules du corps réjouies par leur danse vibratoire et le mental allégé de ce qui déborde, rempli d’une ivresse simple et dépouillée. Vivre pleinement l’aventure des mantras, en se laissant surprendre par ce qu’elle génère, tenter de la ressentir au plus profond de soi et se laisser agir par le son, en abandonnant si besoin nos préjugés. Laisser le superflu s’évanouir dans cette pulsation, cette onde d’harmonie qui peut nous envahir totalement et finalement se recentrer sur l’essentiel, le corps et le cœur légers. Alors osez chansonner, bourdonner, fredonner, chuchoter et accueillez ce nouveau frisson qui libère !
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