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Photo du rédacteurVincent BERLANDIS

Les Yoga Sutras de Patanjali (partie I)




A la source du Yoga


Nous vous proposons de profiter de ce temps suspendu pour approfondir la pratique et la relier à la philosophie du Yoga en explorant, régulièrement, un extrait d’un des textes fondateurs, les Yoga Sutras de Patanjali. Ce texte, datant probablement du début de notre ère (entre le IIème et le Vème siècle), est la distillation la plus pure de la connaissance du yoga. En deux cents courts aphorismes, Patanjali a codifié un enseignement limpide, d’une telle transparence qu’il a créé l’une des plus remarquables œuvres littéraires de l’histoire, mais également l’un des guides les plus précis pour nous guider dans le voyage vers l’intérieur, vers la compréhension du psychisme humain.

Dans un style qui peut apparaître austère, il a délivré un message universel qui révèle ses facettes les unes après les autres, comme un fil qu’on déroule progressivement. Le mot sutra signifie d’ailleurs corde, cordon. Il n’est donc pas évident d’isoler chaque sutra de ceux qui l’entourent et de l’ensemble du texte lui-même, tout autant qu’il est évident que l’ascension du chercheur ne peut se faire que par étapes, au fur à mesure de sa compréhension et de son expérience. Nous tenterons donc de les regrouper si nécessaire pour les présenter par groupes, en tissant progressivement ce fil qui donne la compréhension globale du traité. Par ailleurs, l’ordre des chapitres peut également être surprenant. Le premier, le Samadhi Pada, s’adresse à celui ou celle qui sait déjà se concentrer assez naturellement, alors que le second s’adresse à tous ceux qui empruntent tout juste ce chemin en présentant la méthode (Sadhana Pada). Nous reverrons cela en détail plus loin.



Une définition précise du Yoga

Commençons néanmoins aujourd’hui par le début, le livre I, et ses quatre premiers sutras qui viennent apporter la définition du yoga. Ces premiers aphorismes contiennent, en essence, tout le message de Patanjali : le Yoga est l’arrêt des perturbations du mental (I-2). Ce n’est que lorsque l’esprit est silencieux que nous pouvons réaliser notre vraie nature, l’Etre, le Soi (I-3).

Avant de le définir, Patanjali avait naturellement rappelé dans le premier aphorisme que l’enseignement du Yoga allait être exposé : « Atha yoganusasanam ». Pourtant, derrière cette apparente simplicité, le sanskrit recèle encore une fois de profondeurs. Au-delà de cette présentation, ce premier aphorisme pose une condition essentielle à la transmission du yoga : il y a une promesse de confiance réciproque entre celui qui enseigne et celui qui reçoit. Le terme « atha » signifie que la transmission commence sous de bons auspices, l’élève étant prêt à entamer cette démarche et le professeur ayant, en principe, construit son enseignement sur un vécu, une expérience.


Une fois posé ce cadre de transmission, Patanjali va rapidement définir clairement l’objet de son texte : le Yoga. Contrairement à la littérature classique, il est fréquent dans la littérature indienne de trouver un condensé de l’enseignement d’un texte dès son amorce, comme une carotte que l’on donne au lecteur pour l’inviter à approfondir le reste de l’œuvre. Ici, dès le sutra I-2 : « Yoga Citta Vritti Nirodhah », Patanjali choisit de définir clairement le yoga comme un état, avant d’être une pratique. Bien sûr, cela peut définir les deux, l’ensemble des moyens qui y conduisent et le but, mais il est toujours intéressant de revenir aux fondamentaux : le Yoga n’est pas une théorie à comprendre, une méthode à suivre, une croyance philosophique ou spirituelle, c’est un état d’être. Et la pratique reste juste un moyen organisé, structuré, pour aller vers cette expérience.


Mais de quel état parle Patanjali ? Il le précise à la fois brièvement mais clairement : le Yoga vise la suppression (nirodhah) des mouvements désordonnés (vritti) du psychisme (citta). C’est un état d’accomplissement. Le mot citta, utilisé ici avec un sens très large, s’apparente à l’esprit et tout ce qui le compose : intelligence, pensées, émotions, sentiments, conscients ou inconscients. Citta, c’est tout ce qui en nous reçoit des informations (internes ou externes), les analyse, élabore des réponses et les met en œuvre. « Le yoga consiste donc à maintenir cet esprit dans un état à la fois de quiétude et d’éveil, où l’on est totalement présent à ce que l’on fait, où les pensées ne jaillissent plus d’elles-même, mais sont pleinement orientées et contrôlées » selon Bernard Bouanchaud, disciple de Desikachar, fils de TKV Krishnamacharya, le père du yoga moderne. Cet aphorisme majeur précise donc que le Yoga est affaire d’esprit, il concerne principalement le mental, ses activités et ses fluctuations, causes principales de la souffrance humaine.


Pour rendre concret cet enseignement, les questions à se poser ici sont les suivantes : ma pratique modifie-t-elle ma façon de penser, mon mode de pensée ? Le Yoga favorise-t-il une meilleure présence à ce que je suis, à ce que je fais ?





Patanjali précise ensuite ce qui se passe dans cet état. Par la pacification du mental évoqué dans l’aphorisme 2, il y a un retour à la source, voilà ce que nous dit l’aphorisme 3 : « Tada Drastuh Svarupe Avasthanam ». En état de yoga, on peut percevoir sans projection mentale, sans filtres, ce que nous sommes et ce qui nous entoure. Cet état est la vraie nature de l’être humain, libéré de ses conditionnements (samskaras) qui seront définis plus loin. C’est un état de conscience supérieure marqué par l’absence totale de subjectivité. Le mental étant transcendé, le témoin (drastar, celui qui voit) va simplement revenir à sa vraie nature et on imagine déjà ici que la pratique du yoga va donc consister à supprimer ses filtres qui empêchent cette clarté dans notre perception. Ici, l’être peut reconnaître son appartenance à une dimension plus spirituelle.

En synthèse, lorsque les dysfonctionnements de notre mental cessent, nous retrouvons notre fonctionnement naturel, notre nature véritable. Et c’est ici un enseignement majeur : il n’y a rien à aller chercher à l’extérieur, rien à ajouter, rien à obtenir ou à vouloir. Aucun but. Il n’y a qu’à faire en sorte que les dysfonctionnements cessent. Le yoga est une source à dévoiler, un « moins » et non un « plus » à trouver dans un chemin de sobriété et de sagesse. A ce sujet, le sutra I-3 indique également qu’il ne faut pas s’attendre à un résultat extraordinaire ou magique. Drasthar est connu, non pas dans le sens de savoir, mais dans le sens de « déjà vécu, déjà expérimenté », comme une source qui a toujours été là, en nous. Il n’y a rien de nouveau. Dans cet état, il est possible de voir les choses de la manière la plus vraie possible, la plus proche de la réalité, la plus claire. Un état de conscience dans lequel il est possible d’être totalement présent, sans attentes.

Pour rendre ce sutra utile dans sa pratique, nous pouvons tenter, dans notre pratique, de ne pas chercher le sensationnel, le remarquable, mais se rendre compte que l’ordinaire est déjà exceptionnel, accepter donc son point de départ, ses limites, son chemin. C’est ce fameux citta qui veut en général tout rendre exceptionnel car il souffre de l’ordinaire. Plus en détail, au sein de citta (l’esprit), il y a l’ego (ahamkara), le principe d’individuation. Souvent, c’est lui qui cherche à ajouter, à remplir, poussant sans cesse au désir, pour faire croire qu’il existe et nourrir sa propre fable. Plus il grossit, plus il voile derrière lui la réalité de l’aphorisme 3 : le témoin est disponible en nous en chaque instant, tout est déjà là comme un arrière-plan immuable. Notre pratique consiste donc à créer les conditions adéquates pour expérimenter l’état de yoga, retrouver simplement notre état naturel et voir la vie telle qu’elle est, ce qui aura pour effet de faire diminuer les souffrances inhérentes à l’Homme selon les Védas, un autre texte millénaire qui puise sa source en Inde.

Et si nous ne pratiquons pas ainsi, l’aphorisme 4 nous le dit : nous resterons identifiés aux activités ordinaires de l’esprit (vritti sarupyam itaratra). C’est notre manière « normale » de fonctionner. Tant que le témoin ne domine pas, nous nous appuyons sur ce que le mental nous propose, sur nos perceptions sensorielles et sur les contenus de notre mémoire. Ici, l’esprit est souvent dispersé, le psychisme influencé par les désirs, les passions (rajas) ou, au contraire, la langueur (tamas). Dans cet état dit « ordinaire », l’humain est souvent tourné vers les choses matérielles. Le mental, et tous ces filtres (conditionnements du passé, égo, perceptions sensorielles…), s’interposent entre le témoin (drastar) et les objets vus : la réalité est déformée. Les pensées « colorent » le mental et ce qui est perçu va prendre la couleur correspondante. Nous détaillerons cela lors de l’étude des prochains sutras qui présentent les 5 activités ordinaires de l’esprit.

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